Le 12 Avril dernier, un décret publié au journal officiel interdit l’utilisation de plusieurs techniques de traitement de la cellulite à l’ensemble des professionnels, médecins, chirurgiens, kinésithérapeutes et esthéticiennes. Le point sur la question avec l’un des meilleurs experts français, le docteur Philippe Blanchemaison.
Pouvez-vous nous préciser le contenu exact du décret du 12 Avril 2011 et les techniques qui sont concernées ?
Docteur Philippe Blanchemaison : Toutes les pratiques utilisant des techniques de lyse, c’est-à-dire de destruction, des cellules graisseuses situées sous la peau (appelées adipocytes et responsables de l’aspect de cellulite) sont interdites pour tous les professionnels, à compter du 12 avril 2011. Ces techniques sont proposées pour affiner la silhouette. Cela concerne les techniques de lyse qui recourent à des injections dans le tissu graisseux de différents produits ainsi que celles qui utilisent des agents physiques externes (ultra sons focalisés, lasers, infrarouges, radiofréquence, …)
Ce décret soulève de vives controverses chez les médecins et les esthéticiennes. Certains parlent d’un complot pour réhabiliter la liposuccion. Quelle est votre position ?
Docteur Philippe Blanchemaison : Il n’y a pas de « complot » et le décret s’appuie sur un rapport tout à fait sérieux et bien documenté de la Haute Autorité de santé (HAS). Pour bien comprendre, il faut savoir que la HAS a, entre autres, deux missions importantes auprès du Ministère de la santé : d’une part assurer la santé publique, et d’autre part évaluer les procédures et techniques de traitement. Ici, c’est la première mission qui a été mise en œuvre : la protection de la santé publique car la direction générale de la santé a été saisie, il y a plusieurs mois, par une plainte provenant d’un service hospitalier de la périphérie parisienne. Il s’agissait de 11 cas de patientes ayant présenté des complications graves à la suite d’injections sous-cutanées de produits censés détruire une partie des cellules graisseuses.
Il est normal qu’à la suite du signalement de ces complications, la Direction générale de la Santé demande à la HAS de rédiger un rapport faisant le point sur ces complications. Pour rédiger son rapport, la HAS a fait appel aux principales compagnies d’assurances des médecins, aux associations de consommateurs et a fait un travail de recherche dans les banques de données d’études publiées (dont la principale se nomme « Medline »). Au total, 23 cas de complications graves dues à des actes de « lipolyse par injection de solutions hypo-osmolaires » ont été recencés, et 38 cas de lésions dus à des actes de lipolyse par « mésothérapie » et ces chiffres sont probablement sous-estimés car les actes à visée esthétique sont rarement relayées par des plaintes des patients eux-mêmes. La quasi-totalité des complications décrites dans le rapport concerne les injections de produits chimiques, les injections de solutions hypo-osmolaires, les injections de produits lipolytiques (en particulier la lécithine de soja et le déoxycholate). J’avais moi-même mis mes confrères en garde contre ces injections dans un article publié en 2007 (1) et qui a d’ailleurs été cité dans le rapport de la HAS. A la vue de ce rapport, on doit comprendre le législateur qui a rédigé le décret en urgence avec pour premier objectif d’empêcher d’autres complications de survenir. De façon évidente, le décret est trop large et a inclus dans son interdiction des méthodes sans danger (comme les lasers de basse énergie) ou des méthodes qui bénéficient d’études de bonne qualité (comme la cryolipolyse). Enfin, les actes pratiqués par des esthéticiennes n’ont fait l’objet d’aucune complication.
Vous pensez que ce décret n’est donc pas une version définitive ?
Docteur Philippe Blanchemaison : Evidemment non ! La HAS a répondu ici à sa première mission, la protection de la santé publique. Mais, il manque encore la mise en application de la seconde mission de la HAS : l’évaluation des procédures et techniques médicales en fonction de leur rapport bénéfice / risque et de la qualité des études publiées concernant chacune de ces techniques. Je pense que cette évaluation fera l’objet d’un deuxième rapport de la HAS dans les mois qui viennent et conduira à un amendement du décret du 12 Avril qui est trop large dans son interdiction.
Quelles sont les méthodes de traitement de la cellulite qui sont autorisées à ce jour ?
Docteur Philippe Blanchemaison : En premier lieu le « lipomassage » qui bénéficie d’un recul de 23 ans et de 32 publications médicales dans des revues référencées. Plusieurs autres méthodes sont utilisables dont la bicyclette aquatique ou des méthodes utilisant les champs magnétiques pulsés sans action de lipolyse ou d’adipocytolyse. Dans les mois qui viennent, je pense que les lasers de basse énergie qui sont sans danger et les méthodes de cryolipolyse qui bénéficient d’études sérieuses devraient être réhabilités. Les méthodes de cavitation devront également trouver leur place. Les méthodes utilisant les ondes de choc devront se positionner sur la fibrose uniquement, mais pas sur la lipolyse sur laquelle l’action n’est pas démontrée. Enfin, les infra-rouges qui sont d’excellents appareils de sudation mais avec un faible niveau de preuves sur la cellulite devront se repositionner sur leur indication d’origine. Même chose pour la radiofréquence, normalement utilisée pour les problèmes de relâchement cutané, mais peu active sur la cellulite.
On a l’impression d’un véritable bouleversement dans l’utilisation de ces appareils. Comment en est-on arrivé cette interdiction ?
Docteur Philippe Blanchemaison : Ce n’est pas tant un bouleversement qu’une application au domaine de l’esthétique des règles actuelles appliquées dans le domaine médical, ce que l’on appelle la médecine des preuves. A ce jour, il n’existait pas moins de 96 appareils affichant une promesse d’amincissement alors que moins d’une dizaine ont un niveau de preuve suffisamment élevé pour soutenir une telle allégation. Il faudra maintenant pour les fabricants de machines constituer un dossier de type médical pour avoir l’autorisation d’utiliser une allégation de lipolyse ou d’adipocytolyse.
Mais la liposuccion, technique toujours autorisée, présente pourtant des risques ?
Docteur Philippe Blanchemaison : C’est vrai, mais ces risques sont connus et ont été évalués depuis 1977, date de première publication sur la liposuccion. Depuis de nombreuses études ont été faites et l’on sait aujourd’hui ce que l’on peut en attendre et quand elle peut être proposée (en particulier pour une cellulite adipeuse, localisée, avec une peau de bonne qualité).
Alors quels conseils peut-on donner aujourd’hui à une patiente qui se plaint d’un excès de cellulite ?
Docteur Philippe Blanchemaison : D’abord, déterminer son type de cellulite, adipeuse, fibreuse ou avec rétention d’eau. L’action ne sera pas la même dans chaque cas. On draine une cellulite avec rétention d’eau et on agit sur la cause lorsque on peut la déterminer (rétention d’eau d’origine veineuse, lymphatique, ou hormonale). Pour agir sur l’adipose, la partie graisseuse de la cellulite, il est indispensable d’équilibrer son alimentation et d’augmenter l’élimination des graisses par l’exercice physique. La fibrose, liée à une transformation du collagène nécessite un traitement plus spécifique. Il faut raisonner sur du long terme car il s’agit d’un trouble chronique. On équilibre une cellulite de la même manière que l’on équilibre un diabète, sans la même gravité, bien sur, la cellulite n’évoluant spontanément vers aucune complication.
(1) Blanchemaison P.
Les traitements de la cellulite et des dépôts adipeux localisés par lipolyse.
J Med Esth et Chir Derm 2007,34, 153, 21-28.